J’appelle violence institutionnelle toute action commise dans ou par une institution, ou toute absence d’action, qui cause à l’enfant une souffrance physique ou psychologique inutile et/ou entrave son évolution ultérieure.
Tomkiewicz et P. Vivet, « Aimer mal, châtier bien. Enquêtes sur les violences dans des institutions pour enfants et adolescents ».
La violence inhérente au système : l’obligation
L’obligation est la 1ère des violences institutionnelles en ce qui concerne l’école. Certes, en France, et ce même si de nombreux médias ou d’autres administrations se plaisent à semer le trouble dans l’esprit de parents mal informés, ce n’est pas l’école qui est obligatoire, mais l’instruction. Malgré cette « liberté » (largement ébranlée par la Loi Blanquer, récemment validée par le Conseil Constitutionnel), la pluralité des modes d’enseignement en France reste vraiment minime. Pourquoi ? parce que nombreux sont les parents qui n’ont pas les moyens financiers d’inscrire leurs enfants dans les écoles alternatives ou « hors contrat » qui se développent sur le territoire. Nombreux également sont ceux qui n’osent pas se lancer dans l’instruction en famille : par peur de mal faire ; parce que la société et leur propre éducation les ont conditionnés (un enfant doit aller à l’école) ; parce qu’ils ne peuvent pas, matériellement, se permettre de mettre de côté leur travail ; parce qu’ils ne savent même pas que cette possibilité existe et qu’ils en ont le droit ; parce que le poids des inspections qui y sont liées pèse trop lourd sur leur responsabilité de parents, etc.
La violence est dans le conditionnement social et éducationnel, elle est aussi dans le manque de moyens et d’informations des familles.
L’obligation à l’école, c’est aussi :
- l’assiduité hyper contrôlée des élèves, qui place les parents en porte à faux ;
- le fait que d’autres adultes, inconnus à la famille, se retrouvent en position de décider pour notre enfant, et sont de fait susceptibles de l’exposer à des modes éducationnels que nous ne souhaitons pas avoir pour notre enfant. Quel terrible pouvoir de l’état que celui-ci … En somme, l’école c’est lorsque d’autres personnes choisissent à notre place comment notre bébé va grandir ;
- le rythme scolaire auquel on soumet l’enfant, au mépris le plus total de ses rythmes biologiques et de ses besoins individuels : l’individu s’efface sous le poids de la collectivité ;
- le programme imposé par l’Éducation Nationale, au mépris des intérêts et aptitudes de chacun, au mépris aussi du rythme de développement du cerveau de l’enfant. Malgré les récentes découvertes des neuroscientifiques, qui revêtent un caractère fondamental pour le développement de l’enfant de manière générale, aucun de ses aspects n’est pris en compte dans l’organisation d’une journée en institution scolaire ;
- l’obligation de rendement – car l’institution scolaire est bien une entreprise – qui impose aux jeunes élèves tout un système d’examens et de notations, qui va à l’encontre du bon épanouissement de la jeunesse en lui imposant des stress parfois considérables (nous reparlerons du suicide chez les élèves), et en leur inculquant des paramètres de compétitivité ;
- l’obligation d’avoir un comportement conforme aux exigences sociétales, appuyée par un système répressif et archaïque de punitions, parce que l’élève n’a pas respecté telle ou telle règle de l’institution.
Enfermement et privation d’espace
L’école est conçue comme un environnement intrinsèquement violent, les comparaisons avec les prisons sont d’ailleurs assez fréquentes, ce qui est pour le moins révélateur d’un sacré problème. En effet, il s’agit dans les deux cas d’enfermer le plus d’individus possible dans un espace réduit, un espace qui justement nie les personnalités, en les empêchant de s’exprimer, de se développer, et a fortiori de s’épanouir. Les salles de classe sont autant de cubes où l’on entasse les enfants par tranche d’âge, entre des murs, alors qu’il y a tant à apprendre au dehors, et alors que leur corps comme leur esprit ont un énorme besoin de mouvement et d’extérieur, ainsi que le montrent de plus en plus d’observations scientifiques, à travers le monde entier. Or justement, ils ne bénéficient pas d’espace extérieur suffisant : les cours de récréation sont généralement bien trop petites pour le nombre d’élèves accueillis, et manquent cruellement de verdure et d’éléments favorisant la création de loisir et le bien-être (nous avons déjà vu des cours d’école comprenant uniquement un grossier et poussiéreux gravier et de vieux pneus en guise de jeux – pas dans un pays du Tiers-Monde, mais en France).
On le constate à l’école comme dans les prisons, la promiscuité favorise l’agressivité, la dépression, les tentatives de suicide, la formation de bandes, les phénomènes de domination et de harcèlement, etc. L’entassement rend très difficile la perception des conflits et des détresses pour le personnel surveillant.
Il n’y a pas non plus d’espace d’intimité, ce qui est une aberration quand on considère le nombre d’heures que les enfants passent à l’école jusqu’à leurs 18 ans.
Dénominations légales
Selon la loi française, chaque institution est implicitement conviée à construire sa propre définition de la violence institutionnelle et à la confronter à ses pratiques, en s’inspirant de la classification des différentes formes de maltraitance opérée en 1992 par le Conseil de l’Europe. Voici ce que nous en avons retenu, afin d’établir une liste assez complète des formes de maltraitance rencontrées régulièrement au sein des établissements scolaires, perpétrées par des adultes et par des enfants :
- Violences physiques : coups, brûlures, ligotages, soins brusques sans information ou préparation, non-satisfaction des demandes pour des besoins physiologiques, violences sexuelles, meurtres ;
- Violences psychiques ou morales : langage irrespectueux ou dévalorisant, absence de considération, chantages, abus d’autorité, comportements d’infantilisation, non-respect de l’intimité, injonctions paradoxales (on parlera dans un article suivant de maltraitance émotionnelle) ;
- Violences matérielles et financières : vols, exigence de pourboires, escroqueries diverses, locaux inadaptés ;
- Violences médicales ou médicamenteuses : manque de soins de base, non-information sur les traitements ou les soins, abus de traitements sédatifs ou neuroleptiques, non-prise en compte de la douleur ;
- Négligences actives : toutes formes de sévices, abus, abandons, manquements pratiqués avec la conscience de nuire.
- Négligences passives : négligences relevant de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage ;
- Privation ou violation de droits : limitation de la liberté de la personne, privation de l’exercice des droits civiques, d’une pratique religieuse.
Le ministère de l’Éducation Nationale s’est doté de divers moyens d’observations de l’évolution de ces violences, qu’il publie chaque année mais interprète et résout à sa façon.
Pourtant si on respecte cette liste, combien d’établissements scolaires devraient fermer leurs portes pour procéder à de profonds changements de fonctionnement, avant de pouvoir accueillir à nouveau dans des conditions saines et respectables ?
Solutions
Bien évidemment, on peut objecter que même dans un environnement idéal, un seul individu violent pourrait arriver de l’extérieur et mettre en péril tout le système. Toutefois, il existe des solutions afin de minimiser les risques de violence extérieure :
- Créer un environnement propice, serein, répondant aux besoins de la personne accueillie, en même temps que de toutes les personnes accueillies – une conséquence implicite est que l’institution doit posséder les moyens de mettre en place un tel environnement, ainsi que de disposer de suffisamment de matériel pour tous les accueillis, et de permettre au corps encadrant de disposer du temps nécessaire à chaque individu en accueil (utopie ?) ;
- Trouver une juste balance entre la satisfaction des besoins d’un individu, et l’intérêt du groupe : que l’un et l’autre ne rentrent pas en conflit, que l’un ne vienne pas entraver l’autre ;
- Privilégier le bien-être et l’épanouissement des enfants accueillis, en mettant notamment au second plan l’organisation générale – organisation du travail, de l’entretien, de l’espace, et du temps (on retrouve ici tout l’intérêt des écoles démocratiques) ;
- Assurer le respect permanent de l’intimité de chacun ;
- Éviter à tout prix un système autarcique, trop autoritaire, avec des punitions et des règles inadaptées aux âges des enfants accueillis ;
- Que chacun connaisse son rôle et sa tâche, et que l’institution fasse en sorte que personne n’outrepasse ses droits.
On se heurte ici au nombre exorbitant, bien que défaillant à rencontrer tous les besoins de la population, du nombre d’institutions concernées. Des contrôles se révèlent ingérables – une étude en a évalué la durée à plus de 50 ans pour tout le territoire, toutes institutions confondues (écoles, hôpitaux, crèches, etc).
Et malheureusement, le monde évolue de telle sorte que ces problèmes déjà bien implantés, sont aggravés par les gouvernements en place. Nous vivons à une époque où un accent certain est mis sur la violence, et où cette violence est, pas systématiquement, mais quasiment toujours, associée aux jeunes et au milieu scolaire. Les gouvernements successifs ont une tendance indéniable à focaliser sur les violences commises par les jeunes, en omettant celles commises par les adultes encadrants, et en omettant surtout de se poser les bonnes questions : pourquoi en sont-ils arrivé là ? qu’est ce qui peut pousser un jeune de 16 ans à venir en classe avec une arme ? etc.
On parle d’insécurité grandissante, et à cette menace, la réponse institutionnelle est exclusivement la même : plus de surveillance, plus de contraintes, plus de répression, et moins, toujours moins de liberté. Certaines écoles sont déjà dotées de portiques de contrôle, de caméras de vidéo-surveillance, de fouille des sacs à dos. Ces lieux où l’on enfermait déjà les enfants entre quatre murs, ressemblent de plus en plus à des prisons, et de moins à moins à des lieux d’apprentissage – qui aurait envie d’apprendre, de coopérer, dans un milieu si insécurisant, hostile et agressif ?
Presque tous ces aspects sont pris en compte par les écoles alternatives et démocratiques, qui ont à cœur de proposer des environnements d’apprentissages différents, adaptés aux enfants. Il existe des solutions solidaires pour permettre aux familles les moins aisées d’y inscrire leurs enfants. Voir notre article « l’école démocratique ».
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1 réflexion au sujet de “La violence institutionnelle ordinaire et propositions pour s’en sortir”