Définition et cadre légal
Travailler avec de nombreux enfants, aux âges et besoins différents, en répondant à l’organisation de la structure, de la directrice, des collègues, des familles, n’est vraiment pas une mince affaire. Il y a également les contraintes relatives à ce choix de vie : des horaires de travail parfois compliqué avec des coupures, des collègues absents et non remplacés ou encore des heures supplémentaires en pagaille. C’est un travail qui est extrêmement prenant psychologiquement, émotionnellement également. Vous devez donner le meilleur de vous-mêmes et les moyens qui sont mis à votre disposition ne sont pas toujours suffisants ou suffisants à vos yeux. Nous ne cessons d’entendre parler du mal-être de ces professionnels qui font le choix d’offrir leur tendresse aux enfants et qui ont mal à leur travail, qui ne se sentent pas épanouis, écoutés, entendus, un monde où le rendement semble remplacer peu à peu l’objectif premier des lieux d’accueil : assurer le bien-être physique et émotionnel des enfants.
Le choix que vous avez fait d’accompagner ses enfants pour relayer les parents durant leurs obligations est un choix magnifique et très fort de sens pour la société entière. Mais malgré vos efforts, la collectivité elle-même peut être source de Violences Éducatives Ordinaires (VEO) ou vous pouvez en être témoin de la part de vos collègues. Loin de moi l’idée de vous culpabiliser, l’idée de ces articles est de vous aider à prendre conscience des fonctionnements qui ne sont pas adaptés, à les réorienter tout en prenant en considération les contraintes et le fonctionnement de la collectivité qui est très particulier.
Tout d’abord, de quoi parle-t-on lorsque nous parlons de VEO ? En crèche c’est un mot encore trop méconnu. Vous avez sûrement entendu parler des « douces violences » qui sont maintenant connues et reconnues et l’ouvrage qui en traite est une bible pour tous les professionnels de la petite enfance. Et ce sujet mérite d’être complété à la lumière des connaissances actuelles en neurosciences en pleine expansion. Désormais l’éducation s’appuie largement sur ces connaissances scientifiques sur le développement du cerveau de l’enfant pour donner une réponse objective à la question « ce comportement est-il adapté à l’enfant ? ». Il n’est plus question que chacun porte ses propres valeurs, que l’éducation soit une question de choix, tout comme le projet éducatif et pédagogique d’une structure. Nous ne pouvons plus ignorer ces avancées scientifiques et nous nous devons de les mettre en parallèle avec nos pratiques professionnelles quotidiennes.
Pour faire extrêmement simple et ne pas paraphraser tous ceux qui ont déjà écrit sur le sujet, les violences éducatives ordinaires sont des comportements (paroles, actions…) qui mettent à mal le développement harmonieux de l’enfant et de son cerveau, et qui brisent la nature même de ce qu’il est, de qui il est. Pourquoi rajouter « ordinaires » ? Parce qu’il s’agit de comportements qui sont socialement acceptés, insidieux, et même carrément invisibles pour la majorité. Ce sont souvent des actes que nous avons tellement l’habitude d’associer à l’accompagnement des enfants qu’on ne pose même pas la question de savoir s’ils sont bons ou néfastes pour eux.
Par exemple, même le fait de parler « d’éducation » semble très inadapté lorsqu’on pense au sens de ce mot… On parle par exemple « d’éducation canine », peut-on comparer le travail quotidien des professionnels à celui de dressage ? Que signifie « éduquer » ? Il est dérivé du latin educare qui signifie conduire, conduire hors, élever. Nous partons déjà d’un postulat de base sans équivoque : l’enfant a besoin d’être conduit, conduit hors ou élever (faire monter à un niveau supérieur) donc il est naturellement à un niveau jugé « bas » et il a besoin d’être conduit (donc piloter) pour devenir… devenir quoi d’ailleurs ? Chacun apporte une réponse différente à cette question. Et cette mission de piloter une coquille vide et d’élever à un meilleur niveau reposerait donc sur les familles, et les professionnels de la petite enfance (quand on réfléchit au terme Éducatrice de Jeunes Enfants après cette prise de recul, les mots sont vraiment forts de sens).
Les VEO sont donc des comportements variés, entre autres :
- Faire peur ou honte à l’enfant afin qu’il obéisse
- Le contraindre à une action ou un comportement attendu
- Ne pas respecter son rythme propre (développement, rythme de vie) et lui en imposer un
- Le négliger, ne pas s’en occuper
- Poser un jugement sur son comportement ou sa personnalité
- L’humilier
- Le mettre à l’écart
- Le priver de quoi que ce soit
- Nier le ressenti, les émotions, les envies de l’enfant, ne pas respecter ses demandes, ses goûts
- Ne pas respecter son intimité
N’oublions pas les violences physiques, qui elles sont davantage reconnues et combattues : rappelons qu’il est strictement interdit d’atteindre à l’intégrité physique d’un enfant.
Alors pourquoi ces violences sont encore si peu combattues en milieu collectif ? Le premier constat est édifiant : tous les professionnels de la petite enfance connaissent le taux d’encadrement, mais peu connaissent ces comportements inadaptés. Et pour cause, le taux d’encadrement réglementaire est inscrit dans la loi ! Voici un extrait de textes de lois qui régit nos professions et qui traite de cette question de violences éducatives ordinaires ou douces violences :
– Code de la santé publique, article R2324-17 : « Les établissements et les services d’accueil non permanent d’enfants veillent à la santé, à la sécurité, au bien-être et au développement des enfants qui leur sont confiés. »
Voilà qui est bien vague… Et même lorsque l’on reprend la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) voilà ce qu’on peut y lire : « Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. », si l’on poursuit la lecture « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »
Dans ces extraits, on peut constater que ce qui est le plus mentionnés est la sécurité et la santé (physique). Il est abordé le nombre et la compétence du personnel qui prend soin de lui, et par compétence le code de la santé publique parle de diplômes et expériences, et enfin, on octroie à l’enfant la prise en compte de ses opinions à condition qu’il soit capable de discernement, selon son âge et son degré de maturité… À partir de quel âge peut-on considérer que l’enfant est capable de discernement ? Cette question aura une réponse complètement personnelle, et les professionnels de la petite enfance ne partageront pas tous le même avis…
La CIDE, enfin à l’article 19 « Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.«
La conclusion de cette relecture de ces textes « importants » qui sont la base de la prise en compte de l’enfant est que la bientraitance de l’enfant en crèche n’est abordée ni clairement dans les textes qui régissent les crèches, ni dans ceux qui abordent les droits de l’enfant. Voilà qui pourrait expliquer ce « flou » autour des Violences Éducatives Ordinaires. Les violences sexuelles par exemple sont à plusieurs reprises mentionnées : voilà un vocabulaire clair, net et précis. Mais à aucun moment on y lit le mot « fessée », le mot « geste brusque », le mot « respect des besoins ». Pire encore, dans le décret de 2007, la sécurité et la santé, bien plus souvent abordées, semblent primer sur le confort et le bien-être de l’enfant.
La CIDE évoque pourtant clairement l’école dans un de ses textes : « Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention. »
Même si les mauvais traitements et les brutalités physiques ou mentales sont mentionnées dans le cadre de toute personne qui aurait la responsabilité de l’enfant (qui inclut donc les EAJE), aucune mesure n’est prise au cas où ces agissements seraient néanmoins observés. Et lorsque l’on travaille suffisamment dans la petite enfance, on se rend également rapidement compte d’un autre dysfonctionnement capital dans nos professions : les professionnels qui ont des comportements déviants peuvent être remerciés, mais il n’existe aucun document officiel qui ferait mention de ces incompétences intolérables et incompatibles avec l’accueil de jeunes enfants. En clair, si aucune poursuite pénale n’a eu lieu, ce même professionnel est en mesure de postuler, être embauché, et réitérer les mêmes actes auprès de jeunes enfants : seul son casier judiciaire peut lui fermer la porte des EAJE. C’est ainsi que des personnes mal intentionnées ont l’opportunité de sévir dans plusieurs établissements avant que la justice ne soit saisie et qu’enfin leur incapacité à travailler auprès d’enfants ne soit reconnue et révélée aux futurs employeurs.
Si les violences graves sont si tabous, on ne peut s’étonner de la méconnaissance des VEO en collectivité.
Retrouvez School It Yourself sur instagram, facebook et sur Twitter.
1 réflexion au sujet de “Comment accompagner les enfants au sein d’une micro-crèche ? – Les VEO (Violences Éducatives Ordinaires) en collectivité”